Richard Gaudet
Avocat à la Cour de Paris
Cabinet Bayet & Associés
L’assiette des cotisations sociales des travailleurs indépendants inclut, pour ceux exerçant leur activité professionnelle dans le cadre d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés (IS), les dividendes et intérêts de compte courant d’associés pour la fraction excédant 10 % du capital social.
Les dispositions de l’article L 131-6, III du Code de la Sécurité sociale (CSS) sont issues de l’article 11 de la loi 2012-1404 du 17 décembre 2012. Cet article a généralisé à tous les travailleurs indépendants exerçant leur activité dans une société soumise à l’IS un dispositif qui s’appliquait déjà depuis le 1er janvier 2009 aux seules sociétés d’exercice libéral (SEL). Mais qu’en est-il lorsque les dividendes sont versés à une société holding ?
Dans un arrêt du 19 octobre 2023, la Cour de cassation a eu à juger le cas d’un chirurgien-dentiste qui exerçait son activité professionnelle dans le cadre d’une société d’exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) dont il détenait directement 10 parts sociales, les 990 parts restantes étant détenues par une société de participations financières de professions libérales (SPFPL) dont l’intéressé possédait la totalité du capital social avec son épouse (Cass. 2e civ. 19-10-2023 n° 21-20.366 F-B, B. c/ Caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes).
Selon la Cour, il résulte de l’article L 131-6, III du CSS que les bénéfices de la SEL au sein de laquelle le travailleur indépendant exerce son activité constituent le produit de son activité professionnelle et doivent entrer dans l’assiette de ses cotisations sociales, y compris lorsque ces bénéfices sont distribués à la SPFPL qui détient le capital de la SEL. Elle insiste sur les circonstances ayant conduit les juges d’appel à qualifier les dividendes de revenus d’activité professionnelle et non de revenus du patrimoine :
– l’intéressé était le seul associé professionnel en exercice de la Selarl à générer des revenus permettant de constituer les dividendes versés à la SPFPL ;
– il possédait l’intégralité du capital avec son conjoint.
Cette prise de position de la Cour de cassation conduit à s’interroger sur l’opportunité pour les praticiens exerçant au sein d’une SELARL dont le capital est détenu par une SPFPL à adopter une clause de variabilité du capital pour la première société.
En effet, une SARL (et par extension une SELARL) peut être constituée avec un capital variable, c’est-à-dire susceptible d’augmenter ou de diminuer constamment soit au moyen de versements effectués par des associés anciens ou nouveaux, soit par la reprise totale ou partielle d’apports, sans qu’il soit nécessaire de passer par le formalisme des augmentations et réductions de capital.
La clause de variabilité doit figurer dans les statuts. Elle doit mentionner le capital plancher (ou « capital minimum »), qui représente la limite au-dessous de laquelle le capital ne peut plus être réduit par suite de retraits d’associés ; le capital plancher ne doit pas être inférieur au dixième du capital fixé par les statuts (art. L 231-5, al. 2 du Code de commerce), c’est-à-dire du montant du capital souscrit lors de la mise en place de la variabilité. Doit également être indiqué le capital maximal autorisé, qui est la limite au-delà de laquelle il ne peut être procédé à une augmentation du capital souscrit qu’en respectant les règles ordinaires, c’est-à-dire en modifiant les statuts (Cass. com. 6-2-2007 n° 05-19.237 : RJDA 5/07 n° 515).
À l’intérieur des limites déterminées par le capital plancher et le capital maximal autorisé, le capital souscrit peut varier librement. Les statuts doivent déterminer l’organe compétent pour décider de l’augmentation ou de la diminution du capital souscrit : l’organe dirigeant, la collectivité des associés, voire une catégorie particulière d’associés. En pratique, le plus souvent, les demandes de souscription des associés nouveaux et le traitement des demandes des associés sortants sont réglés par la gérance. Bien entendu, ces dispositions ne peuvent avoir pour effet de contrevenir aux dispositions régissant la détention du capital de chaque profession libérale réglementée et les modifications dans le capital doivent être communiquées aux Ordres professionnels.
Sur le plan fiscal, la reprise par la société émettrice des droits sociaux consécutivement au retrait volontaire d’associés personnes morales passibles de l’impôt sur les sociétés se traduit par une sortie des droits sociaux de l’actif immobilisé de ces associés. En application des articles 39 duodecies et 112, 6° du CGI, le gain net réalisé à cette occasion relève du régime des plus ou moins-values professionnelles. Il est par conséquent soumis au taux normal de l’impôt sur les sociétés à moins que les droits sociaux rachetés revêtent pour l’associé la nature de titres de participation détenus depuis au moins deux ans, auquel cas la plus-value est exonérée sous réserve de la réintégration d’une quote-part de frais et charges de 12 % (BOI-RES-BIC-000089, 12-7-2023).
Il en résulte que les sommes distribuées par une SELARL à une SPFPL holding, dans le cas d’une reprise liée à la variabilité du capital, ne relèvent pas des dividendes soumis à cotisations sociales, mais des plus-values. L’administration rappelle dans sa doctrine que les plus-values réalisées par une holding (lorsque les titres possédés par la holding dans la SEL sont détenus pendant au moins deux ans) supportent une quote-part de frais et charges de 12 %, alors que cette quote-part est de 5 % pour les dividendes.
Prenant un exemple : supposons qu’un professionnel libéral exerçant dans une SELARL détenue par une SPFPL décide de distribuer 100 000 € de dividendes à la SPFPL. Nous supposons également que les charges sociales du praticien exerçant dans la SELARL sont de 40 %.
Hypothèse 1 : la SELARL distribue 100 000 € de dividendes.
Coût pour la SELARL : 100 000 € x 40 % : 40 000 €.
Mais si la SELARL prend en charge les cotisations sociales et les déduit de son impôt sur les sociétés (à 25 %), le coût réel est de : 40 000 € – (40 000 € x 25 %) : 30 000 €.
Coût pour la SPFPL : 100 000 € x 5 % x 25 % : 1 250 €.
Hypothèse 2 : la SELARL annule des parts de son capital dans le cadre d’une reprise d’apport par la SPFPL au moyen de la variabilité du capital.
Coût pour la SELARL : 0 €.
Coût pour la SPFPL : 100 000 € x 12 % x 25 % : 3 000 €.
Le mécanisme de la SELARL à capital variable est donc efficient, mais attention, il suppose que la SPFPL soit la seule associée de la SELARL ou un associé largement majoritaire car, l’annulation des parts détenues par la SPFPL va progressivement éroder sa participation dans la SELARL. Il faut donc s’assurer qu’en présence d’autres associés minoritaires dans la SELARL, la majorité conférée à la SPFPL ne se trouve pas renversée.
La variabilité du capital est également légèrement plus complexe qu’une distribution de dividendes et suppose qu’une évaluation annuelle de parts de la SELARL soit effectuée pour déterminer le nombre de parts à annuler.
Enfin, la SELARL à capital variable ne présente un intérêt que si les revenus sont transférés à une SPFPL conçue comme une structure de capitalisation des revenus appelée à prendre des participations ou à investir dans des SCI par exemple. Si le praticien distribue à nouveau des dividendes dans la SPFPL, l’impôt de distribution sera alors exigible à son niveau (flat-tax à 12,8 % ou barème progressif) avec les prélèvements sociaux à 17,2 % en sus. Toutefois, si la Cour de cassation fait fi de la personnalité morale de la SPFPL pour appeler les cotisations sociales sur les dividendes dans la SELARL, elle n’indique pas non plus si ces cotisations sont libératoires, de sorte qu’à l’occasion d’une double distribution (dans un premier temps de la SELARL vers la SPFPL ; puis de la SPFPL vers l’associé), il existe un risque de double imposition sociale (cotisations sociales dans la SELARL ; imposition aux prélèvements sociaux à 17,2 % pour l’associé de la SPFPL).