RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS COMMERCIALES

rupturecommercial

Stéphane MORER

Avocat à la Cour de Paris
Cabinet Bayet & Associés

 
Par une série d’arrêts depuis le début de l’année, la cour d’appel de PARIS a eu l’occasion de rappeler les conditions d’application de la notion de rupture brutale des relations commerciales.
 
Elle a ainsi précisé, par un arrêt en date du 28 février 2024 « qu’au sens l’article L 442-6 I 5° du code de commerce dans, la relation commerciale, et n’est soumise à aucun formalisme quoiqu’une convention ou une succession d’accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d’un simple courant d’affaires. Elle est établie dès lors qu’elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu’elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l’avenir, une certaine continuité d’un flux d’affaires avec son partenaire commercial.
 
Pour définir une relation commerciale établie, il ne sera pas pris en compte uniquement l’existence d’un contrat écrit, daté et signé, mais par exemple la récurrence de bons de commande.
 
En revanche, ce principe a une limite et la notion de relation commerciale établie peut ne pas être retenue dès lors qu’elle présente un caractère précaire, notamment dans le cadre d’appel d’offre.
 
La rupture est caractérisée aussi bien en cas de rupture immédiate et sans préavis qu’en cas de modification substantielle des conditions de la relation commerciale.
 
Dès lors la rupture brutale peut être totale ou partielle.
 
« L’article L 442-6 I 5° du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l’agent économique à qui elle est reprochée et peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement, mais sa brutalité qui résulte de l’absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Les critères pertinents sont notamment l’ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d’affaires réalisé, la progression du chiffre d’affaires, les investissements effectués, l’éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. 
La rupture est brutale en l’absence de préavis ou en présence d’un préavis insuffisant au regard de la durée de la relation. » (Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 4, 28 février 2024, n° 21/14019)
 
Pour déterminer la durée du préavis qui aurait dû s’appliquer ainsi que l‘indemnisation du préjudice, la jurisprudence a défini un ensemble d’indice.
 
 La Cour d’appel de Paris, (Pôle 5 chambre 4, 28 février 2024, n° 21/14019) indique « que l’état de dépendance économique, doit être apprécié de manière uniforme en tant que situation de fait servant ici d’élément d’évaluation de la durée du préavis éludé. Il s’entend de l’impossibilité, pour une entreprise, de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a nouées avec une autre entreprise. Son existence s’apprécie en tenant compte notamment de la notoriété de la marque du fournisseur, de l’importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d’affaires du revendeur, ainsi que de l’impossibilité pour ce dernier d’obtenir d’autres fournisseurs des produits équivalents. » 
 
Néanmoins, ce constat est tempéré par le fait que cette dépendance n’a pas été imposée par l’une des parties et ne découlait pas de la nature de l’activité de l’autre qui l’autorisait, dès sa création, à diversifier sa clientèle.
 
L’attitude de la partie lésée dans la gestion de ses affaires pourra influencer à la baisse le montant de son indemnisation ou de la durée du préavis dont elle pouvait se prévaloir.
 
La jurisprudence a également posé les principes du préjudice indemnisable en retentant que « le préjudice subi par la SARL XXX est constitué de son gain manqué qui correspond à sa marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d’affaires dont la victime a été privée et les charges qui n’ont pas été supportées du fait de la baisse d’activité résultant de la rupture, appliquée au chiffre d’affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé. 
 
« A ce titre, le préjudice subi, qui trouve son siège dans une anticipation déjouée, s’évalue à la date de la rupture à partir des éléments comptables antérieurs à celle-ci qui constituent le socle des prévisions de la victime, sans égard pour les circonstances postérieures telles sa reconversion durant la durée du préavis éludé. » (Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 4, 28 février 2024, n° 21/14019)
 
En revanche, la rupture brutale de la relation commerciale ne sera pas retenue dès lors qu’elle repose sur un manquement grave du cocontractant. (Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 4, 24 avril 2024, n° 21/17678)