Si l’Exit-tax n’a pas bonne presse en France, ce n’est pas tant pour son caractère coercitif que pour ses difficultés de mise en œuvre à l’égard du droit communautaire, ses maladresses rédactionnelles et la mauvaise communication qui existe entre les autorités françaises et les instances communautaires. Mis en œuvre dans un contexte budgétaire difficile, il heurte les candidats au départ à l’étranger dont les intentions ne sont pas toujours fiscales.
La circulation des personnes, des biens, et partant, des richesses, est devenue monnaie courante dans un contexte de mondialisation. Mais chaque Etat veut s’assurer que l’imposition de ces richesses sera effective alors même que son auteur choisit un autre Etat d’installation. C’est dans ce contexte qu’a été inventé l’Exit-tax, qui n’est rien d’autre qu’une imposition des plus-values latentes constatées sur les titres de société.
L’Exit-tax, institué en France par la loi du 30 décembre 1998[1], a été codifié à l’article 167 bis du Code Général des Impôts, qui prévoit, lors du transfert du domicile fiscal d’une personne hors de France, la taxation des plus-values latentes, des créances trouvant leur origine dans une clause de complément de prix et des plus-values en report d’imposition à l’impôt sur le revenu, outre l’imposition aux prélèvements sociaux à 15,50 %. Deux conditions d’application sont requises : le contribuable doit avoir été fiscalement domicilié en France pendant au moins six des dix années précédant la date du transfert ; les droits sociaux, valeurs ou titres, doivent représenter au moins 50 % des bénéfices sociaux d’une société ou 800 000 €. Les plus-values latentes, comme les créances de complément de prix par exemple, sont déterminées par référence à la valeur réelle des titres au jour du transfert, étant précisé que les abattements pour durée de détention visés aux articles 150-OD, 1, 1er et 1 quinquies du CGI sont applicables à la plus-value constatée.
Le contribuable peut toutefois bénéficier d’un sursis de paiement automatique dans la mesure où il s’installe dans un État membre de l’Union Européenne ou de l’Espace Économique Européen. A défaut, il peut toujours formuler une demande de sursis de paiement mais celle-ci doit être accompagnée d’une offre de garanties représentant au moins 30 % du montant total des plus-values et créances. Cette obligation de constitution de garanties est cependant écartée si le contribuable prouve que son départ obéit à des raisons professionnelles et que l’État de destination a conclu avec la France une convention d’assistance. Ce sursis de paiement peut prendre fin pour diverses raisons : cession à titre onéreux, rachat, remboursement ou annulation des titres ; donation des titres lorsque le contribuable a transféré son domicile fiscal hors de l’Union Européenne ou de l’Espace Économique Européen, sauf s’il prouve que la donation n’a pas pour finalité d’éluder l’impôt.
Enfin, le contribuable peut bénéficier d’un dégrèvement ou d’une restitution de l’impôt acquitté s’il justifie d’un nouveau transfert du domicile fiscal en France à l’expiration d’un délai de 15 ans suivant la date de départ, lors de la donation des titres ou des créances, ou enfin au jour du décès du contribuable.
La mise en place d’un impôt touchant un patrimoine non-encore réalisé a posé la question de sa compatibilité avec le droit de l’Union Européenne, aux visas de la liberté d’établissement et, dans une moindre mesure, de la liberté de circulation. Les nombreuses réformes qui ont modifié son régime ont abouti à la rédaction actuelle de l’article 167 bis du Code Général des Impôts, qui ne fait pratiquement plus débat, et pourtant, le principe même de l’Exit-tax demeure contestable.
L’Exit-tax entretient en effet une forme de protectionnisme, et si sa finalité économique et sa conformité au droit communautaire ont bien été appréhendées, son impact psychologique et financier donne la mesure de son incompréhension par les opérateurs concernés.
L’Exit Tax, un régime de taxation efficace désormais en conformité avec le droit de l’Union Européenne
Un régime aux objectifs louables malheureusement promu par une communication médiocre
Freiner les délocalisations et les exils fiscaux, afin de préserver la matière imposable, peut tout à fait se comprendre, mais était-il besoin de glisser dans le corps du texte de l’article 167 bis, VII, 1, b, 1° du CGI une terminologie empruntée à l’abus de droit ?
Faire d’une donation une condition de survenance de l’expiration du sursis de paiement sauf si le contribuable démontre que cette donation n’a pas pour objectif d’éluder l’impôt, c’est renverser la charge de la preuve et faire peser un soupçon de fraude sur le contribuable. Qui plus est, la mesure marque une rupture de l’égalité des citoyens devant l’impôt dès lors qu’elle vise les donateurs qui auraient préalablement à la donation transféré leur domicile hors du territoire communautaire.
Loin de viser les seuls plus gros contribuables, le champ d’application de l’Exit-tax s’est étendu aux contribuables de fortune intermédiaire. C’est ainsi que la loi de finances rectificative pour 2013 a modifié la quotité du capital transféré ; de 1 % des bénéfices sociaux d’une société, nous sommes passés à 50 %, mais dans le même temps, la valeur des participations concernées est passée de 1,3 M€ à 800 000 euros. Les titres de SICAV et de FCP sont désormais dans le champ d’application, mais non les titres de sociétés à prépondérance immobilière. Quant à la durée exigée pour bénéficier d’un dégrèvement de l’impôt dû, elle est passée de huit à quinze ans, soit quasiment le double.
Tout le monde aura compris que les patrons de PME sont visés et seuls ceux qui auront fait le choix d’investir durablement à l’extérieur se soustrairont définitivement à l’impôt, encore que pour les expatriés, la création d’un fichier de suivi d’une durée de 15 ans par la DGFIP marque une surveillance accrue des opérateurs délocalisés.
C’est l’addition de mauvaises mesures, une légitimité politique contestée, un environnement économique défavorable et la mauvaise presse des méthodes parfois employées par l’administration, qui donnent à l’Exit Tax sa coloration répressive, mais le dispositif n’est pas en lui-même abusif. D’autres pays de l’Union européenne l’ont adopté, tels que l’Allemagne, le Royaume Uni et les Pays-Bas. Les États-Unis en ont fait autant.
L’Exit Tax Américain, appelé the mark to the market tax, est prévu à l’article 877 A de l’Internal Revenue Code[2]. Son champ d’application diffère du régime français rationae personae. Le régime Français vise les personnes ayant leur domicile fiscal en France et qui souhaitent le transférer hors de France, alors que le système Américain touche les « expatriés couverts », c’est-à-dire les personnes disposant de la citoyenneté américaine et qui renoncent à leur citoyenneté, ou les résidents de longue date qui mettent fin à leur résidence aux États-Unis. La date retenue pour l’expatriation diverge également. Dans le régime français, la date du transfert du domicile fiscal est située au jour précédant celui à compter duquel le contribuable cesse d’être soumis en France à une obligation fiscale sur l’ensemble de ses revenus. En revanche, aux États-Unis, plusieurs dates peuvent être retenues en ce qui concerne les citoyens ayant abandonné leur citoyenneté : date de renonciation à la citoyenneté formulée devant un agent diplomatique ou consulaire des États-Unis ; date de fourniture d’une déclaration signée de renonciation volontaire à la citoyenneté ; date de publication d’un certificat de perte de nationalité ou encore, date d’annulation du certificat de naturalisation d’un citoyen. Pour un résident, cette date est située au jour de la perte de la « carte verte ». De ce point de vue, le régime Français est plus clair, une seule date est retenue, peu importe les circonstances du transfert du domicile fiscal.
Si les régimes français et américains retiennent tous deux la notion de plus-value latente, l’ensemble des actifs mondiaux est visé dans le système américain, alors que le régime français ne considère que les actifs nationaux. En revanche, la faculté de réduction de la base imposable est moins favorable en France. Alors que le régime américain admet l’imputation de certaines moins-values sur les plus-values latentes, le régime français ne l’admet pas. Les conditions de seuil sont cependant plus rigides en droit américain qui soumet les plus-values à Exit Tax dès lors que leur montant excède 600 000 $, sans considération du pouvoir de décision dans l’allocation des bénéfices. Aux États-Unis, comme en France, il est possible de bénéficier d’un sursis de paiement. Nous l’avons vu, en France, ce sursis de paiement peut être automatique. À défaut, il doit être expressément demandé et n’est accordé que si des garanties sont octroyées à l’administration fiscale. Le régime de l’Exit-tax américain soumet cette possibilité de sursis d’imposition à la constitution de garanties jugées suffisantes par l’administration fiscale américaine. Un intérêt est alors dû. Cette demande est irrévocable et ce sursis prend fin en cas de réalisation des plus-values (en cas de cession par exemple). Le fait générateur de l’impôt, dans les deux cas, est situé au jour précédant la date d’expatriation (de transfert du domicile fiscal). Selon le modèle américain de l’Exit-tax : All property of a covered expatriate shall be treated as sold on the day before the expatriation date for its fair market value[3], littéralement, “tous les biens d’un expatrié couvert doivent être traités comme vendus au jour précédant la date d’expatriation à leur juste valeur marchande ». Finalement, le régime américain et le régime français se ressemblent beaucoup, tant dans la rigueur des conditions d’application que dans les contraintes liées au sursis.
Le caractère coercitif du dispositif français n’est donc pas avéré et son origine est empruntée à un mode opératoire issu des plus grandes nations économiques du monde. Même si les libertés d’établissement et de circulation sont gênées pour des raisons pratiques évidentes, elles ne sont pas pour autant entravées, et à la faveur d’un long processus de réforme initié depuis 2004, l’objectif reste toujours d’assurer la conformité de la mesure avec le droit de l’Union européenne.
Un régime de taxation toujours plus conforme au droit de l’Union européenne mais défaillant dans les rapports avec les instances communautaires
L’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne pose en principe que les personnes et les capitaux peuvent se déplacer à l’intérieur du vaste territoire sans entrave et sans discrimination. Le Conseil d’État, dans un arrêt rendu le 19 septembre 2011[4], a jugé que l’Exit-tax ne portait pas atteinte à la libre circulation des personnes et des capitaux. La raison en est que l’Exit-tax ne s’applique pas aux personnes circulant sur le territoire de l’Union européenne mais à celles qui transfèrent leur domicile fiscal. Il aurait d’ailleurs été étonnant de taxer les plus-values d’un ressortissant de l’Union européenne passant des vacances hors de son Etat.
Cependant, en limitant la liberté d’établissement, n’empêche t’on pas indirectement les contribuables de circuler entre les pays de l’Union ?
La liberté d’établissement, codifiée aux articles 49 à 55 du Traité, implique que les personnes physiques et morales puissent s’établir dans n’importe quel État membre de l’Union Européenne sans qu’il soit fait de différence de traitement avec les citoyens de l’État en cause. C’est sur cette base que l’Exit-tax a été critiqué au début.
Dans l’environnement juridique qui était le sien de 1998 à 2004, nulle référence n’était faite à l’adhésion de la France à l’Union Européenne dans les II, 1 et 2 de l’article 167 bis du Code Général des Impôts. L’établissement d’un citoyen Français dans un État membre de l’Union Européenne avait donc les mêmes conséquences juridiques que s’il s’était établi dans un État hors de l’Union Européenne ou de l’Espace Économique Européen. C’est dans ce contexte que la Cour de Justice des Communautés Européennes a rendu son arrêt « De Lasteyrie Du Saillant »[5], à l’occasion d’une question préjudicielle qui lui était posée.
La Cour a jugé que « Le principe de la liberté d’établissement posé par l’article 52 du traité CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre institue, à des fins de prévention d’un risque d’évasion fiscale, un mécanisme d’imposition des plus-values non encore réalisées, tel que celui prévu à l’article 167 bis du code général des impôts français, en cas de transfert du domicile fiscal d’un contribuable hors de cet État ». Elle a estimé que ce mécanisme d’imposition constituait une entrave à la liberté d’établissement et que, bien qu’il existait une possibilité de sursis de paiement, cette dernière devait être réclamée et était conditionnée par l’octroi de garanties jugées trop lourdes. Elle ajoutait que ce dispositif était disproportionné par rapport au but poursuivi.
De façon radicale, le législateur a supprimé l’Exit-tax par une loi du 30 décembre 2004[6] avant de rétablir un mécanisme similaire le 29 juillet 2011[7]. Dans le prolongement de la jurisprudence de la CJCE, le Conseil d’Etat a fait œuvre de résistance. Par un arrêt du 12 juillet 2013[8] statuant sur un recours pour excès de pouvoir exercé contre le décret portant application des articles 167 bis, VII, 1, b et 2 et 167 bis, IX, 9 prescrivant aux contribuables d’apporter la preuve, pour bénéficier du sursis de paiement, qu’une donation n’avait pas un « but exclusivement fiscal » en cas de transfert du domicile fiscal dans un État membre de l’Union européenne, la haute juridiction a accédé à la demande du requérant, prononcé l’annulation du décret portant application de ces alinéas, et le législateur a donc supprimé cette obligation de démontrer que la donation n’avait pas pour seul but d’éluder l’impôt dans le cas d’un transfert du domicile fiscal dans un État membre de l’Union Européenne ou de l’Espace Économique Européen. La situation s’est ainsi stabilisée par un article relativement long exposant un principe et une exception.
Au-delà de son écho médiatique, l’affaire Gérard Depardieu fait partie de ces exceptions juridiques. L’acteur a choisi de s’installer en Belgique, pays qui pendant longtemps n’a pas imposé les plus-values de cession de droits sociaux. Il a dans le même temps opté pour la nationalité russe et a bénéficié d’un sursis de paiement sur ses plus-values latentes, ce sursis étant bien évidemment subordonné au maintien du contribuable dans la sphère européenne, ce que Gérard Depardieu a fait mais en entourant l’évènement d’une large publicité autour de sa proximité avec la Russie, tentant ainsi d’établir l’existence d’une liberté fiscale surveillée. Si le protectionnisme exercé par la France est en apparence moins pesant, l’exigence de sa conformité au droit de l’Union Européenne le rend complexe[9]. Dès lors, bien que l’apport de l’Union Européenne soit relativement important, il serait tout à fait opportun d’améliorer le dispositif tel qu’il ressort depuis 2013 afin de le simplifier.
L’Exit Tax, un dispositif toujours contestable
Une centralisation étatique
Si l’Exit-tax a fait l’objet de nombreuses réformes pour le rendre conforme au droit de l’Union Européenne, il n’est « que » conforme au droit européen mais il n’est pas adapté à une législation unifiée. La raison en est que son contrôle et sa collecte restent une affaire d’Etat, à la différence de la TVA qui a été harmonisée par une organisation intracommunautaire et par une collecte largement centralisée, ou les droits de douanes, supprimés entre pays membres et unifiés au niveau des taux pratiqués sur les marchandises provenant de pays tiers. Dans ce contexte d’harmonisation, la notion de transfert du domicile fiscal « hors de France », au détriment de celle de transfert du domicile fiscal « hors de l’Union européenne », ne se justifie plus. Mais la question se pose bien évidemment de savoir qui aurait la primeur d’imposer les plus-values ou d’octroyer le sursis de paiement en cas de transfert du domicile fiscal hors de l’Union : Etat d’origine ou dernier Etat d’implantation communautaire ? Dans ce dernier cas les prélèvements sociaux français resteraient-ils dus et comment leur érosion éventuelle serait-elle gérée du point de vue budgétaire français ? Nous voyons donc que l’harmonisation, pour ne pas dire la centralisation du dispositif de l’Exit-tax butte sur la prérogative de levée de l’impôt qui est un des indicateurs forts de la souveraineté des Etats. Et même si le principe d’un « partage de souveraineté » était acquis, le risque serait de voir l’Europe s’enfermer dans une bulle freinant la mobilité avec l’extérieur, déplaçant ainsi le malaise de façon plus globale, au risque de créer une « prison fiscale européenne ». Dans la façon dont il est actuellement appliqué, l’Exit-tax offre en effet l’avantage de pouvoir attribuer l’incurie ou le mérite à tel ou tel Etat, et non à l’ensemble de l’institution communautaire. L’absence de centralisation offre au moins aux opérateurs économiques l’illusion d’une optimisation possible au sein de l’Union, quoique le risque d’une double imposition n’est pas négligeable. L’imposition établie en France au moment du départ peut en effet faire double emploi avec celle établie à l’étranger après le changement de résidence fiscale. Et si la France prévoit un mécanisme d’imputation de l’impôt étranger sur l’impôt français, les prélèvements sociaux n’en sont pas pour autant dégrevés alors que le fait générateur de l’imposition s’est produit à l’étranger.L’Exit Tax, une prison fiscale pour les expatriés ?
La délocalisation des personnes physiques n’a pas toujours une finalité fiscale. La tentation de l’exil pour des familles de confession juive à la suite des évènements dramatiques du début de l’année 2015 en fournit un exemple. L’application stricte du principe de l’égalité des citoyens devant l’impôt s’accommode mal de l’exigence d’un discernement lorsqu’il s’agit d’assurer la défense des libertés individuelles, et là encore, la CJCE veille.
Le Danemark l’a appris à ses dépends. La commission a estimé que le régime adopté par cet Etat visait les contribuables sans distinction, tout comme le régime français. Elle a donc demandé au Danemark de modifier le régime de son Exit-tax, ce que le Danemark a refusé, conduisant ainsi la Commission à introduire une action devant la CJUE.
Pour reprendre les mots de Mme. Cazaillet[10], l’Exit-tax « fait toujours frissonner contribuables et conseils qui savent que ce dispositif, de plus en plus répandu, risque de les emprisonner dans un État dans lequel ils ne souhaitent plus vivre ». On pourrait dire que l’Exit Tax est peut être un dispositif trop efficace, ce qui le rend impopulaire et contestable, car ce qui est impopulaire est par définition contre la volonté du peuple.
L’Exit-tax se trouve en outre en contradiction avec certains accords ou conventions internationales. Interprétant l’accord signé entre la Confédération suisse et l’Union européenne, accord dit de Luxembourg du 21 juin 1999, le Conseil d’État a jugé que la Confédération suisse ne faisait pas partie de l’Union européenne et que l’accord de Luxembourg ne reconnaissait pas la liberté d’établissement entre les États membres de l’Union européenne et la Confédération suisse. Or, cet accord fait expressément référence aux principes communautaires tels qu’interprétés par la CJCE.
En outre, l’article 13 de la Convention modèle de l’OCDE relatif aux gains en capital prévoit que les gains tirés de l’aliénation de biens mobiliers, immobiliers ou d’actions sont imposables dans l’État de résidence, ce qui signifie que les plus-values non-encore réalisées ne sont pas imposables en France et ne le sont qu’au moment de leur réalisation dans l’État de résidence. Mais la France s’octroie le droit d’appliquer son dispositif national qui prévoit que les titres sont réputés cédés la veille du transfert du domicile fiscal hors de France, ce qui permet, par une fiction juridique ingénieuse, de qualifier un État de résidence de façon rétroactive.
De quel droit relève ce dispositif dérogatoire dans une convention internationale ? La France a en effet signé la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, et cette Convention mentionne expressément l’obligation pour les États parties contractantes d’interpréter et d’appliquer les conventions de bonne foi. La question se pose alors de savoir si le gouvernement français est vraiment de bonne foi, et comme l’indique M. Le Mentec[11], le nouveau texte n’apparaît pas à l’abri de critiques [vis-à-vis des traités internationaux] et devrait, à n’en pas douter, conduire à des contentieux ».
Même en se limitant au droit national, l’Exit-tax va à l’encontre d’une imposition sur un revenu net. Permettre une imposition sur un transfert du domicile fiscal dans l’hypothèse où le contribuable ne pourrait ou ne voudrait fournir des garanties, aboutit bien à une rupture de l’égalité devant l’impôt, suivant que le contribuable demeure en France ou en part. Cette question de la rupture de l’égalité devant l’impôt, déjà mise en exergue par la CJCE en 2004, ne semble donc toujours pas réglée.
En définitive, l’Exit-tax apparaît comme une mesure d’opportunité qui ne s’inscrit pas dans une politique fiscale cohérente à moyen et long terme. Les lois de finances successives ont pris l’allure de décrets-lois, peu travaillées, mal expliquées, et surtout, contreproductives et sans contreparties. Tout le monde comprend bien la nécessité de conserver une masse imposable, mais pas au prix de procédures souvent discrétionnaires qui ne s’accompagnent d’aucune action vraiment efficace pour diminuer les dépenses publiques. C’est là toute la différence entre l’Exit-tax version française et l’Exit-tax version allemande ou britannique.
Richard GAUDET
Avocat à la Cour
Cabinet Bayet & Associés
Ludovic RIBES
[1] Article 24 de la loi n°98-1266 du 30 décembre 1998 de finances pour 1999.
[2] Issu de l’article 301 du Heart Act, adopté le 17 juin 2008.
[3] Internal Revenue Code, art. 877A, a, 1.
[4] CE, arrêt n°346012 rendu en sa troisième sous-section le 19 septembre 2011.
[5] CJUE, arrêt C-9/02 rendu le 11 mars 2004.
[6] Article 19, loi n°2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005.
[7] Article 48 de la loi n°2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011.
[8] CE, arrêt n°359994 rendu par ses troisième et huitième sous-sections réunies le 12 juillet 2013.
[9] B. Briguaud, La France et l’Exit Tax : Une relation douloureuse, août 2011 dans Études fiscales internationales.
[10] Voir supra
[11] F. Le Mentec, Projet d’Exit Tax : de quelques problématiques à venir (dans la Revue de droit fiscal n°22 du 2 juin 2011).